Blancbec

Muselés

2021

Sous commissariat de Michaël Nicolaï

Une remarque s’impose d’emblée : l’intervention de Blancbec au Parlement réclame des efforts de lecture. Il faudra quelques exercices pour reconstituer la composition et encore quelques autres pour la décrypter. D’abord, il faut redresser les trois peintures suivant une rotation à 90°. Ensuite, les assembler puisqu’elles forment une seule et même image, ce qui n’est pas simple : telles qu’elles sont positionnées dans le parking, il n’est pas possible de les observer depuis un seul point de vue. Il y aura alors toutes sortes de choses à voir mais principalement un verger fleuri de part et d’autre d’un cours d’eau sous un ciel étoilé et deux oiseaux perchés sur des arbres dont les branches cachent les yeux d’une lune pâle, laquelle surmonte le visage d’une créature fantastique aux oreilles obturées au-dessus d’un soleil à la bouche fermée lequel donne une première explication au titre.

Reste encore à décrypter l’image. S’impose sans peine le symbole des Singes de la Sagesse dont chacun se couvre une partie du visage – yeux, bouche, oreilles – avec les mains. Mais il y a d’autres éléments à décoder. Blancbec explique qu’en développant la composition, il avait à l’esprit la nature à ses yeux ambigüe du site, à savoir son occupation par une fonction publique d’une part et, de l’autre, son accès quasiment privé puisque strictement réservé aux usagers du lieu : « Cette particularité a été le départ de ma réflexion. Plus précisément, j’ai cherché un lien poétique entre l’idée de nation et l’exercice des pouvoirs publics. » Comme ailleurs dans son travail, la mythologie antique constitue une source de références qu’il traite avec beaucoup de liberté. Ici, c’est la thématique des Muses qui a retenu son attention ; elle donne la seconde raison du titre. Suivant la tradition platonicienne, les Muses sont médiatrices entre les dieux et le poète. De là à penser qu’elles pourraient l’être entre les parlementaires et la population, il n’y aurait, dans l’esprit de l’artiste, pas loin de la coupe aux lèvres. Il n’en reprend que deux qu’il met en scène sous forme d’oiseaux … nous rappelant peut-être qu’après un concours de musique dont elles sortirent victorieuses et qui les opposa aux Piérides qu’Apollon changea en pies, elles adoptèrent parfois leur nom mais sans pourtant en prendre l’apparence. Blancbec extrapole et s’en explique : « J’aime bien dessiner des oiseaux. J’ai d’ailleurs choisi mon pseudonyme en fonction de cela. J’ai aussi beaucoup d’intérêt pour les créatures hybrides qui sont très nombreuses dans la mythologie. » Il faudra prêter une attention accrue pour voir au milieu de chacune des compositions trois lettres qui reconstituent le mot VOX, nous entrainant vers la locution latine « Vox populi, vox Dei » qui relèverait la souveraineté du peuple dans nos régimes démocratiques.