Léa Belooussovitch

Léa Belooussovitch, Haydan, Yémen, dimanche 14 août 2016, 2019

Léa Belooussovitch
Paris, 1989
Vit et travaille à Bruxelles

L’œuvre du Parlement fait partie d’une série de trois dessins de format identique et portant le même titre : Haydan, Yémen, dimanche 14 août 2016.

Là et alors, la coalition arabe avait organisé une frappe aérienne meurtrière avec pour cible un établissement d’enseignement coranique : une dizaine d’écoliers perdaient la vie ; Médecins Sans Frontière dénombrait 28 blessés ; toutes les victimes avaient moins de quinze ans. L’armée saoudienne se justifiera en identifiant l’école comme camp d’entraînement ennemi.

« J’ai cherché des photographies de presse documentant cet événement tragique, explique Léa Belooussovitch. J’en ai sélectionné trois qui montrent chaque fois le corps sans vie d’un enfant sous une couverture comme pour le protéger. Je choisis des images qui ‘parlent’ de la douleur de l’Homme et de sa vulnérabilité. Très souvent, l’émotion est intense. On est à la limite de l’éthique ou on l’a dépassée. Ici, les photographies de Haydan avaient déjà fait le tour du monde alors que, certainement, les familles n’avaient pas encore pu voir les dépouilles mortelles des enfants. »

Définition
Léa Belooussovitch, Haydan, Yémen, dimanche 14 août 2016, 2019 low def

Haydan, Yémen, dimanche 14 août 2016, dessin aux crayons de couleur sur feutre 110 x 60 cm, 2019 - Installé au fond du couloir du 1er étage de l'Hôtel de Ligne.

La violence du sujet est en opposition avec la manière de Léa Belooussovitch dans ses dessins à main levée, aux crayons de couleur sur feutre, un travail qu’elle développe depuis 2014 et qu’elle considère comme l’ossature de toutes ses recherches.

Outre que nécessiter un temps long en opposition avec l’instantané de la prise de vue, la technique modifie l’image ; elle altère sa nature. Dans la forme d’une part : il n’est pas possible d’exécuter un dessin précis ; les pigments se mélangent dans des dégradés qui, après le cadrage d’une partie de la photographie d’origine et son agrandissement, finissent de dissoudre la puissance figurative. Dans le fond d’autre part : ce processus d’abstraction introduit une distance ; la violence se trouve d’autant plus étouffée que le passage du crayon sec sur le feutre provoque un détachement des fibres textiles rendant à l’ensemble un aspect velouté, presque duveteux.

« Je me sers d’un matériau isolant et protecteur, explique l’artiste. Il préserve du froid et de la chaleur. Il atténue les bruits. Cela fait sens par rapport aux images que je sélectionne. Elles documentent des scènes où il y a des déflagrations, des tirs, des cris, des pleurs qui seraient comme absorbés. Le feutre établit aussi un rapport très charnel, sensuel. Il me permet de donner corps aux images numériques. »

Les pièces sur feutre sont entre autres choses caractérisées par une succession de lectures. Celle du dessin doux, énigmatique, à la limite de l’abstraction vient en premier. C’est l’approche visuelle, esthétique qui prévaut sans pourtant conditionner le regardeur sur la nature du sujet. Cette première couche de lecture en entraine une seconde : celle du titre qui fait partie intégrante de l’œuvre ; elle ancre le dessin dans le réel et le ramène à un contexte précis jusque dans ses coordonnées espace/temps. Sans aucun doute nous retournerons-nous encore sur l’image avec un regard moins candide et l’envie de connaître ce qu’ont pu vivre ces ombres colorées en ce dimanche 14 août 2016 à Haydan au Yémen.

Texte de M. Pierre Henrion

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