Sozyone

Chocolate City

2021

Sous commissariat de Michaël Nicolaï

On a tous déjà observé cette scène dans un parc ou sur une place publique : un homme nourrit un puis deux, trois et, finalement, des dizaines de pigeons qui l’encerclent et grouillent à ses pieds ; un chien se précipite au milieu de l’attroupement ; tous les « convives » s’envolent dans la confusion et submergent celui-là même qui les restaure allant jusqu’à gifler son visage de leurs ailes.

Dans la peinture du Parlement, on ne voit que le visage de l’homme coiffé d’un chapeau melon et sa main tendue comme pour s’extraire de la tourmente. Mais cela suffit pour reconnaître la manière de Sozyone : l’exécution très graphique, la stylisation des modèles et la maîtrise du développement spatial. Le travail des couleurs est aussi caractéristique : elles sont posées en aplats avec, comme toujours, du blanc et une tonalité éclatante que font ressortir des valeurs ternes. Il y a encore l’inclination à s’approprier le lieu davantage que de s’y intégrer et encore moins de s’y soumettre. Ici, pour « résister » aux proportions des murs coincés entre sol et plafond, la composition est plus dense qu’à l’habitude. Il y a peu d’espace, pas de profondeur. Comme dans les pratiques all-over, les motifs de pigeons envahissent et semblent se prolonger en dehors du support, se soustrayant au tassement du cadre beaucoup plus large que haut.

Définition
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L’homme au chapeau melon a en outre la « gueule rude » des héros qui peuplent les dessins de Sozyone et qui nous emmènent dans les marges où s’agite toute une voyoucratie. On s’y prendrait à reconnaître un Apache parisien de la Belle Epoque avec sa dégaine de dandy, à la fois brutal et raffiné. « J’ai dressé le portrait de ces bandits dans une série qui m’a occupé pendant plus de 10 ans jusqu’en 2013, explique l’artiste. Ils ont une forme de noblesse qui m’intéresse. Ici, c’est moins un gangster qu’une canaille. Il est plus ‘soft’ qu’un voyou et, d’ailleurs, il esquisse un léger sourire, peut-être parce qu’il apprécie le moment. Ce serait quelqu’un qui n’est pas toujours dans les rails mais qui ne fait rien de ce que fait un véritable malfaiteur. » On poursuivra en rappelant l’intérêt de Sozyone pour les mouvements anarchistes et, en particulier, pour la figure d’Alexandre Marius Jacob (1879-1954) qu’on est tenté de reconnaître dans toutes ses peintures. « J’avais 18 ans quand j’ai appris son histoire. Sa vie engagée m’a beaucoup marqué. Les personnages que je dessine sont imaginaires mais j’aime à penser qu’ils font partie des Travailleurs de la Nuit, sa bande organisée de cambrioleurs qui donnaient une partie de leur butin à des organisations anarchistes. » On succombera encore à une seconde tentation en relevant la présence récurrente de l’oiseau dans l’iconographie des mouvements libertaires en tant que symbole d’autonomie ou d’affranchissement. Il y a aussi toute l’imagerie illustrant l’avertissement attribué à Voltairine de Cleyre à l’occasion de la pendaison controversée du militant américain August Spies en 1877 et qui dit : « Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce ». Plus simplement, Sozyone déclare dessiner des pigeons, des mésanges, des corneilles et surtout des moineaux parce qu’ils volent. « Et j’aime bien ce mot avec son double sens. Les oiseaux volent, Marius Jacob et ses complices aussi. Et puis, on dit des objets dérobés qu’ils se sont envolés. J’ai une préférence pour les moineaux à cause de leurs attitudes grégaires. Pour moi, les pigeons des villes sont des animaux sauvages. Ils ne se comportent pas comme le voudrait celui qui le nourrit. Et, parce que l’Homme est un mauvais animal, la ‘nature’ des pigeons vient le gifler au visage. » Dans le même esprit de simplicité, Sozyone explique le choix du titre de sa peinture en référence à Bruxelles « ville du chocolat » et à Georges Clinton, leader du groupe Parliament auteur d’un album intitulé Chocolate City (1975).

Pierre Henrion

Définition
Sozy